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Conte Défait.

Ecrit et réalisé par Hervé Baudouy rapporté par ..

mardi 23 décembre 2003, par Mireille-Caroline

Il était une fois une fabuleuse Princesse qui vivait dans un château magique, au cÅ“ur d’un pays très lointain, le Royaume d’Outre-Plus-Loin.

Ce château magique lévitait tranquillement sur le Lac Tanssia, àjetée de pont-levis de la rive. Mais en cas de danger, il s’éloignait gracieusement vers le centre du lac. "Comment ?!" Allez-vous demander. C’est un mystère.
Cela était depuis des centaines d’années : un magicien des Temps Anciens, le légendaire Perlin-Pinpin, l’avait imaginé et construit... On avait perdu le Manuel utilisateur depuis longtemps. Seul le Roi connaissait les formules pour le manÅ“uvrer, formules qu’il transmettait àson successeur désigné.

La Princesse Sail-Hindion était d’une beauté étourdissante,
vertigineuse ; c’était la princesse la plus éblouissante qu’on puisse trouver dans le catalogue de "Princesses en Vue".
Ses longs cheveux bonds cascadaient sur ses riens - qu’elle avait fort beau d’ailleurs. Ses grands yeux bleus, plein d’étincelles, et un corps de rêve lui valaient la couverture régulière de "Belles Fesses, Belles Gueules", le magazine des Vedettes Intellectuelles.
Elle entretenait sa forme physique en faisant du jogging tous les matins, àtrente centimètres au-dessus des eaux du lac.

Mais elle était si belle, justement, que ses meilleurs amis et même ses dames de compagnie la jalousaient. Elle n’avait pourtant que le degré de snobisme requis par son rang. Il lui arrivait même de parler avec des gens du peuple. Si ! Et ses courtisans, enfin ceux qui n’avaient pas de chance avec elle, l’insultaient dans son dos. Nous ne répéterons pas ici ces termes vulgaires. Mais le peuple d’Outre-Plus-Loin l’adorait.

- Elle est si belle, disaient-ils en la voyant passer, fringante sur son poney de course, ou légère et aérienne, dans ses jeans et ses baskets spéciales-lévitation (marque déposée Lévit’Asek).

Le roi, son père, était un bon roi ; un très bon roi ; et le peuple le respectait - toutes choses égales par ailleurs. Il est vrai que ses sujets, sans dentiers, mangeaient habituellement l’équivalent d’un navet par jour, alors que le Roi se gavait de dindes rôties, de faisans farcis et de gâteaux au persiflore.

Les journaux d’opposition, "L’Hippocampe Déchaîné" et la "Licorne Frétillante", dénonçaient bien sà»r cet état de fait ; mais le Roi et la presse gouvernementale qualifiaient ces attaques de campagnes de salissage, et s’en moquaient comme de leur première barboteuse.

Bien sà»r aussi, le Roi guerroyait depuis trois ans contre son voisin du Nord, le duc de Khass-Bon-Bon ; tous les jeunes gens de plus de quatorze ans étaient envoyés rejoindre l’armée aux frontières.

Il est également avéré que le Roi avait des goà»ts sexuels divergents. Mais, l’un dans l’autre, si je peux oser cette image hardie, c’était un très, très bon roi, au vu des circonstances, de l’époque et du contexte. Pour s’en convaincre , il n’est que de le comparer avec son détestable voisin du Sud, le Prince de Labuche de Nauelle. Nous ne détaillerons pas ici les horrifiques dépravations du Prince. A titre indicatif, l’histoire de Sodome et Gomorrhe n’est qu’une bluette, comparée àla vie de cet homme...

***

Un jour, la Princesse et ses dames de compagnie s’en furent àun raout, àla Rivière Sans-Source.
Toujours très sportive, elle s’en alla baigner toute nue...
Et fut enlevée par un dragon abomiffreux ! Vraiment moche, la bestiole , avec une tronche de virus informatique, ou de steak cuit trop vite !

Nous révèlerons ici, en exclusivité, un fait inconnu : une des dames de compagnies fit un croche-pied àla Princesse pour l’empêcher de fuir, puis détala elle-même avec les autres suivantes !Envers de la beauté ! Drame de la jalousie ! Elle aurait pu léviter, mais elle ne put l’éviter. Ces dames n’en eurent pas moins les cheveux roussis (ce qui lança une nouvelle mode) quand le dragon, qui craignait l’humidité, éternua ; ce qui, de par l’effet papillon, provoqua une tempête sur le Lac ; le Château tangua et perdit quelques tuiles...

Dès que C.N.N. (Croyez-Nous, Nom de d’là!) annonça la nouvelle, le désespoir s’abattit sur le royaume comme une marée noire ; le peuple se sentit misérable, orphelin , triste comme une purée qui refroidit.

Le Roi dépêcha six de ses plus vaillants chevaliers poursuivre le dragon et délivrer la Princesse. Mais, àchaque fois, les pages revenaient avec un seau contenant les cendres chevalières...

Même le Magicien Royal, Double d’Oz ( ou Dalle Henpante, le samedi soir après le turbin, àla Brasserie du Navet-au-court-bouillon) fut impuissant. Il émit un communiqué pour expliquer que ses charmes étaient incapables de lutter contre le dragon, et que la raison en était couverte par le secret-défense.

Quant aux Fées, elles avaient déserté le royaume depuis longtemps, suite àune sombre querelle au sujet de leur régime de retraite : il avait été question d’augmenter leur période de cotisations...

C’est alors qu’un Estranger - qui s’appelait Al Haitrangé, Inzenaythe pour les amis - arriva au village par la diligence de 15h 12 (huit chevaux, tout confort, cinq portes) . Il descendit devant l’Auberge du Navet-Pahonte, en face du Château. C’était, ailleurs, un homme connu. Il avait doublé Mr. Muscle dans le célèbre film "L’haltère ego se dés-haltère dans l’altérité", d’après le roman de Marek Halter. En s’étirant, il remarqua un homme qui allait de maison en maison avec
un panier d’épinglettes, criant :
- Ã‰pinglettes ! Pour vraiment montrer votre tristesse pour la Princesse,
il n’y a que mes épinglettes ! Pas cher !
Sur les épinglettes était écrit :"Touche pas àma Princesse !"
- Dites-moi, mon brave, dit l’Estranger au vendeur, qu’est-il arrivé àvotre Princesse Est-elle malade ?
- Pire que cela, bel inconnu. Elle a été enlevée par le terrible et maléfique Dragon qui vit dans une grotte, là-haut sur la montagne, nom de d’là !

L’Estranger croisa sur sa poitrine les gigots qui lui servaient de bras, des bras musculineux d’haltérophile gavé d’anabolisants. Puis il se gratta le menton, àcause de son acné post-juvénile.
- Enlevée ? Mais cette Princesse, vendeur d’épinglettes, est-elle intéressante, belle ?
- Le mot beauté fut inventé pour elle ! Pour être vendeur, on n’en est pas moins poète.
- Alors, moi, Al Haitranger, je jure, ici et maintenant, que la sauver j’irai, et le Dragon tuerai, et la route poudroierai !

[In petto du Narrateur : il était frais émoulu de l’École des Jeunes Chevaliers Fougueux Quoique Inexpérimentés, ce qui explique bien des choses.]

- Excusez-moi, Al, mais vous patinez dans la semoule avec votre vÅ“u. Je me demande si vous ne venez pas du royaume des Simplets Mono-neuronaux.
- Non, pourquoi ?
- Parce que le Roi a envoyé six chevaliers délivrer la Princesse ; ils sont tous passés au barbecue. Comment pourriez-vous, sans armure et sans épée, réussir làoù ils ont cuit ?
- Vendeur d’épinglettes de peu de foi, en vérité je te le dis : j’ai ma tête, mes tripes et mon couteau suisse. Je réussirai !

Sur ces mots, l’Estranger quitta le vendeur ; lequel, incrédule, se mit àrire de l’inconscience de tous ces jeunes godelureaux, vingt’ieux !

Sans débotter, Al s’éloigna du village en direction de la grotte du Dragon....

***

... Cette grotte était plus sombre que la conscience d’un politicien de retour, et sentait le soufre. C’était en fait un entrelac de galeries, tunnels et culs-de-sac. L’Estranger se guida àl’odeur. Il sentait des os rôtis craquer sous ses pieds alors qu’il s’enfonçait toujours plus loin dans les couloirs de la mort annoncée.
Il entendit un gargouillis lointain venant des intestins de la caverne, et sentit l’haleine méphitique du Bestiau flotter autour de lui comme un fog londonien[Ce moment de pure poésie vous était offert par notre commanditaire Khol-Gate].

Le pied de notre héros heurta quelque chose de dur ; il se pencha : la poignée d’une épée ! Il passa son doigt sur le fil : plus coupant que le rasoir d’Occam !
- Je savais que je trouverai une arme pour abattre cette bête
horrifique. Quand nos intentions sont bonnes et notre coeur pur, les forces entières de l’univers nous aident dans nos projets. Je n’aurai pas besoin de mon couteau suisse !

Levant l’épée, il continua d’avancer dans la sombreur puante.
Enfin, il arriva dans l’immense chambre qui servait de nid au Dragon.
La mocheté écaillée se tenait accroupie sur une colline d’ossements cliquetants. Ses yeux étaient noirs, ses écailles couleur de sang séché, et ses griffes aussi longues que des rapières. Une paire d’ailes étaient repliées sur son dos. A chaque expiration, il émettait un jet de flammes oranges, ce qui était la seule lumière de l’endroit, et lui permettait d’économiser sur l’électricité.

La Bête leva la tête puis considéra ses ongles :
- Tiens, drageonna-t-il ironiquement, un autre candidat au barbecue !

Sa voix alliait le sifflement du serpent souffrant de sinusite qui siffle sur vos têtes et la résonance de la grosse caisse ( façon Ouverture 1812) ; cela faisait trembler le sol et les murs, comme une crème anglaise effarouchée.

Dans un coin de la grotte, assez loin pour ne pas être rôtie par inadvertance, la Princesse était assise, enchaînée àun pilier de pierre [In petto du Narrateur : c’est vrai qu’elle était belle, non de d’là!]

- Aidez-moi ! cria-t-elle en se levant.
L’Estranger leva son épée, fit face au Dragon, prit la pose
St-Georgesque 14-Bis et s’écria :
- Ton règne de terreur touche àsa fin, reptile malfaisant !
Je ne crains aucune menace de créatures comme toi. Tu as rendez-vous avec ton destin.

Le Dragon prit une profonde inspiration, prêt àprojeter un jet de flammes blanches sur l’imprudent...
... Mais il hésita.

D’une part l’Estranger se trouvait entre lui et la Princesse, et il risquait le dommage collatéral.D’autre part, il était fatigué de tout cela.
Il se détourna et rejeta un nuage de fumées fuligineuses et pestilentielles par le nez.
L’Estranger, poussant le Cri-Qui-Tue ( leçon 2, chapitre 3), escalada péniblement la colline d’ossements et lança avec force son épée àla base du cou du Dragon (leçon 5, paragraphe 12). L’acier rebondit pitoyablement sur les écailles infranchissables.

Nous pouvons révéler àprésent, toujours en exclusivité, que le Dragon était issu d’un bricolage génétique entre une navette spatiale et le Nautilus, ce qui le rendait inexpugnable. On pouvait même suspecter un réacteur nucléaire dans ses intérieurs intimes.

- Du calme, jeune homme, du calme ! Six de tes semblables sont déjàpassés àla friture-express. Je suis dans mon jour de bonté : si on parlait, plutôt ?
- Jamais , hurla l’Estranger. Pas de discours verbeux, rien que la mort !
La mort sur le fil de mon épée. Yahoooooooooh !

Il s’élança ànouveau. A nouveau, la lame rebondit sur les écailles.
- Pourtant, je suis sà»r que tu trouverais ça intéressant, reprit le
Dragon en réalignant négligemment une écaille déplacée.
- Silence ! Je ne retiendrai pas ma main avant que tu ne sois mort, et que cette admirable et pimpante jeune fille ne soit retournée saine et sauve , et débarbouillée, au château de son père.
- Hé bien, justement, c’est le problème. Son père ne veut pas la voir revenir. Pour l’instant.
- Ferme-là, stupide lézard fumigène ! cria la Princesse. Tue-le, brave héros ! Délivre-moi !
- Elle dit que tu mens, et cela me suffit, reprit l’Estranger. Tu vas manger de l’acier.
Et il repartit àl’assaut, toujours en courant et toujours en vain.

- Tss, tss... ironisa le Dragon. Ils ne t’ont pas appris la dialectique, dans ton école ? Elle n’a pas dit cela. Tu auras mal écouté. En fait... Non, jette plutôt un coup d’Å“il àceci. Je vais respirer doucement, ça te fera de la lumière.

Il plongea une de ses griffes dans le tas d’ossements et en ramena un parchemin, qu’il déroula d’un coup de poignet.
- Lis-le. Il porte le sceau personnel du Roi et celui du Notaire royal.

L’Estranger parcourut le document : "Mille livres d’or... en échange des services ci-après mentionnés... enlèvement et séquestration d’une princesse... payées en totalité et en liquide àAl Henn-Fétid, Dragon"
Il leva les yeux, lâcha son épée :
- C’est quoi, cette histoire àla mord-moi le nÅ“ud ?!
La stupéfaction le faisait retomber sans son vocabulaire scolaire.
Le narrateur s’en excuse auprès des ses jeunes lecteurs.

- On s’en fout, intervint la Princesse. Tue ce salaud ! Délivre-moi !

Question vocabulaire, la Princesse ne donnait pas non plus sa part aux chiens...
- Cela veut dire, mon jeune ami, qu’un royaume plein de paysans affamés et mécontents est plus docile quand il y a une crise pour les occuper, les apeurer ou les attendrir... l’enlèvement d’une Princesse par un ignoble Dragon, par exemple...

Avez-vous déjàvu sourire un dragon ? ...

- Hé ! Ho ! J’attends toujours, moi ! Il n’y a aucune raison pour
t’arrêter de le combattre, dit la Princesse, choquée.
L’Estranger secoua la tête :
- Mais... les villageois...
- ... sont bien trop occupée par le triste et misérable sort de leur princesse bien-aimée pour penser qu’ils ne mangent qu’un navet par jour, et que leurs fils vont mourir dans les Plaines de Marche-Ou-Crève depuis trois ans.
- Et le Magicien ?
- Il a triché àson examen de Fin d’Études Magiques, et je pourrais le dénoncer àl’Ordre des Magiciens...
- Sors-moi d’ici, je t’en supplie ! cria la Princesse.
- Toi, la ferme, dit le Dragon. Ma belle, si tout se passe bien avec la guerre en cours, et si le pillage du Château de Marche-Ou-Crève est profitable, ton père ramènera assez de butin pour jeter quelques miettes àses paysans, ce qui les calmera pour un avenir prévisible. Mais si ça va mal, alors ma petite, tu es plus en sécurité ici . Parce que , crois-moi, peu importe ta beauté, tu serais l’une des premières àêtre collée au mur !
- Mais... Et maintenant, que vais-je faire ?
- Tu veux mon avis ? Va voir le Roi et dis-lui que tu connais son petit secret. Je suis sà»r qu’il sera très heureux de te donner un titre, un domaine et une belle dame de compagnie, en échange de ta compréhension et de ta discrétion. Tu feras tes premiers dans la politique, en somme.

L’Estranger se gratta ànouveau le menton. L’acné post-juvénile supporte mal les hautes températures et les choix cornéliens.
- Oui... Je vois.
- Je ne veux pas rester ici, dit la Princesse en sanglotant. Je veux retourner chez ma mère !
- Du calme ! Je réfléchis.
- L’alternative est que je te grille, ici, comme je l’ai fait pour les
autres...
L’Estranger se tourna vers la Princesse :
- Bonne chance !
- Ah la vache ! grommela la jeune fille en se rasseyant.

***

... L’Estranger devint Baron et changea son nom en Henry-Migrand.
Il vécut dans son charmant manoir avec sa mignonne Baronne de Trock. Il acheta plusieurs paniers d’épinglettes...

***

... La guerre entre le ROi d’Outre-Plus-Loin et le Duc de Khass-Bon-Bon dure toujours, prolongée par le traité d’assistance mutuelle passé entre le Roi et le Prince de Labuche De Nauelle.
Et ce, pour le plus grand profit des fabricants d’épées, de lances et autres arbalètes.
Le fait que le Prince possède des champs pétrolifères n’est bien sà»r pour rien dans ce traité. Les gens sont mauvaises langues, non ?

Le village d’Outre-Plus-Loin est toujours le meilleur endroit pour découvrir la soupe au navet...

***
"Le Dragon et la Princesse ?", allez-vous demander.
Selon C.N.N., ils sont toujours dans la Grotte aux Ossements Rôtis.
Désinforamtion...
Nous pouvons révéler qu’ils ont émigré dans une dimension parallèle, où ils ont connu une émouvante et torride aventure, celle de la Belle et la Bête...

Mais c’est une autre histoire...

Morale : Un titre vaut mieux qu’un barbecue !

Illustration provenant du site Fantasmagories chez Lycos

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