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Mémé par l’auteur Mireille Disdero

simplement retransmis ici

samedi 28 février 2004, par Mireille-Caroline

Pèr nostro lengo ... Hôpital La Durance (Avignon) service Gastro . Chambre 522. Julie tient le téléphone serré contre son oreille, comme si elle craignait de mal entendre : « Bon, aco ès marrid, tent àla vido què si méno aro !  » Eh bé, ça fait trois jours que je suis ici. Tu crois pas que non ? Boan diou, maintenant ils m’ont mis dans une chambre avec une vieille !

Hein ?

Bè elle a 90 ans. Qwoua ? Moi j’ai 89. Mais c’est pas pareil hein, je ne suis pas sénile, moi. Il faudrait quand même que ces infirmières comprennent, se mettent àla place des malades, soient « cycologues  »

hein ? « psychologues  » ? Mouais. Pareil.

Alors, je reprends, arrête de me couper tout le temps, Marie-Laure. Tu me donnes le tournis avec tes « mémé écoute-moi, mémette calme-toi  ». Qu’est ce que tu veux que je me calme avec mon environnement ...

Je reprends. J’ai trois ulcères. C’est pour ça qu’ils m’ont mise àla diète pendant deux jours. Moi qui aime tant manger, qué malheur !

Et puis tu vois, je ne sais pas pourquoi ils appellent cet hôpital « la Durance  » parce que j’aperçois juste un parking de ma fenêtre. De rivière, point du tout. C’est moche ... Tu crois pas que non !

Hein ?

Bien sà»r que je vais mal, très mal, même. J’ai qu’une envie : partir m’occuper de mon jardin. En novembre on plante : « A la sainte Catherine, tout arbre prend racine  ». Puis il faut que je chasse les rats qui envahissent le grenier. Les sales bêtes refusent le riz empoisonné, par contre elles dévorent les graines pour mes oiseaux. Et tu sais combien je les aime ! Finalement ils avalent le grain empoisonné des rats. L’autre jour j’en ai trouvé un, mon rouge gorge, celui qui migre chez moi chaque hiver ... mort sur la terrasse. J’en ai pleuré. Ca m’a fait un coup au cÅ“ur, pire qu’un ulcère. Non, je ne peux pas rester ici, le derrière collé àmon lit d’hôpital. Ils ne m’auront pas. Saletés de bestioles va !

Hein ?

Ma voisine de chambre ? Elle perd les pédales. Elle m’inquiète. Vraiment je ne comprends pas pourquoi il m’ont mise avec une vieille. Laurie tu m’entends ?

Juliette change le combiné du téléphone d’oreille :

Voilàc’est mieux pour entendre, je t’explique. Elle me prend pour une infirmière : c’est te dire l’état de sa cervelle. Il faut être au bout du rouleau pour me confondre. Je suis pas du tout « typée  » nurse moi, avec mon fichue sur la tête et ma chemise de nuit en pilou ... Pourraient faire antention, les infirmières ! Ah….

Hein ? Articule Marie-Laurette, tu sais comme je suis devenue sourde àcause des informations àla T.V. et des Feux de l’amour ... Ca fatigue l’entendement, il dit, mon docteur.

(Long silence)

Qu’est-ce que je racontais ? Voui, toutes les deux minutes ce matin, cette pauvre vieille me demandait de lui apporter àboire, de lui remettre les draps, de remonter son gros oreiller, d’allumer ou d’éteindre la télé (elle a peur de la télécommande), de lui lire une histoire « un joli conte  » ... àla fin, j’en ai eu par dessus la tête, me suis allongée dans mon lit et me suis cachée sous les draps, comme si je dormais.

Attends, j’ai pas fini. Tu m’as coupé le fil ...

Ah,voui, voilà. Au bout d’un quart d’heure cachée sous mon drap, comme je n’entendais plus de bruit, j’ai cru qu’elle dormait, dans son lit. Alors, j’ai doucement relevé le drap de ma figure et ... elle était là ! à10 cm de ma tête, penchée, àme regarder de ses yeux de chouette. J’ai sursauté, crié très fort et elle aussi. Je crois qu’elle a eu plus peur que moi. Elle est tombée en arrière, la pauvre.

Ensuite ? Je ne sais pas, mais les infirmières l’ont emportée. Je ne l’ai pas revue. J’espère qu’elle n’est pas morte de frayeur. Enfin, si c’est le cas .... la vie est dure pour les vieux.

Oui ? Laurette ? Ce qu’ils m’ont fait comme misère ce matin ?

Pas de petit déjeuner. Tu sais combien j’y tiens. Ulcère ou pas. Eh bé c’était pas la diète : ils avaient oublié. C’est tout. Pour que l’hôpital fasse des économies sur mon compte.

Qwoua ? Je sors demain ? Comment tu le sais ? Mon petit docteur, celui de Pélissanne te l’a dit ? Non, pas lui, c’est un endormi ...

Je vais sortir demain alors ? ...

J’ai oublié de te dire. Ce matin, je me suis levée àcinq heures. J’ai été réveillée par la vieille femme qui a hurlé dans son sommeil « au secours, des rats !  » et je t’assure qu’il n’y en avait pas un seul de rat. Seulement moi, j’aimerais bien quitter le navire, pour rentrer àla maison.

Marie-Laure le monde est beau dehors, même l’hiver, je suis mal parce que je suis vieille mais je me sens d’attaque. Demande au docteur d’avancer la date de ma sortie àce soir, plutôt que demain. Tu me rendras service.

Viens vite me chercher, fifille. Ramène-moi àma maison.

Tu vois, quand il est passé le petit docteur, (un jeunot, 40 ou 50 ans) avec sa cour d’internes autour de lui, tout àl’heure, je lui ai dit en patois :

« Iou, Vous enterreraï tous !  ». Mais il a pas compris. C’est fini la Provence. Fini.

(Soupirs)

Je me prépare pour partir ce soir.

Il faut encore que je m’occupe de ces rats dans mon jardin. Bises.

Tu dis ? « je t’aime mémette ?  » tu parles trop. On dit pas ces choses là, on se les garde cachées. Viens me chercher, Vite. Boan diou !  »

*

Julie raccroche, soupire, regarde le lit vide àcôté du sien, sort ses affaires du placard et pose son sac sur le lit.

Ensuite elle s’assied et plante le thermomètre dans un vase de fleurs en pensant que comme ça, quand l’infirmière lira sa température, elle croira qu’elle est morte et lui fichera la paix. Enfin !

Mirèio Disdero

A ma mémé, Juliette Rey

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